Expression :
L'entreprise persécutée - 19 février 2001
Vous êtes jeune et motivé et vous voulez créer l'entreprise de vos rêves. Vous avez appris (par un copain) que l'Etat a préparé pour vous des aides mirifiques ! Mais malheureusement pour vous, elles sont inaccessibles pour la plupart : car il y a plus de 2000 mesures différentes pour aider à la création d'entreprise distribuées par 1400 organismes différents.
Mais vous avez réussi à passer cette étape, un peu ébranlé . Pour créer votre entreprise vous décidez d'ingurgiter, péniblement les 880 articles du mémento Francis Lefebre des sociétés commerciales ouvrage de 1380 pages qu'un fonctionnaire vous a indiqué. Avec l'espoir qu'en respectant tous les règlements contradictoires de ce livre vous serez à l'abri des tracas du fisc. Vous apprenez également, au cours de vos lectures diverses qu'en France pour créer sa SARL il faut verser 50 000F, que 35 types de société bénéficient d'exemptions ou de régimes particuliers et qu'il y a 35 obligations à respecter en droit social pour chaque salarié, 108 impôts différents, 98 modèles de déclarations fiscales. Bref vous vous dites alors que la pression fiscale est vraiment délirante, sur nos entreprises !
Mais vous ne semblez pas arrêté. Après tout, ce ne sont que des chiffres, fournis par " des associations malveillantes... " Vous remplissez alors de nombreuses formalités administratives qui vous font perdre des mois et grincer des dents quand vous apprenez que cela a pris trois minutes pour votre copain anglais qui a rempli un formulaire et versé 1£ pour créer son entreprise à Londres !
Enfin au bout de 6 mois, l'Etat vous autorise à ouvrir l'entreprise de vos rêves et vous souhaite bonne chance. Le jour même de l'inauguration de vos locaux, l'URSSAF vous cause quelques problèmes de trésorerie malgré toutes les précautions que vous avez prises. Dans son premier courrier adressé à votre entreprise, elle vous impose de payer à l'avance un an de cotisations sociales avant même d'avoir encaissé le premier bénéfice ! De plus vous apprenez (par un copain) que la construction de bureaux impose une redevance et que les propriétaires de bureau sont soumis à une taxe annuelle, ce qui est votre cas.
Vous craquez , vous êtes un " looser absolu ", non vous êtes en France ! Le redressement fiscal frappe 9 entreprises sur 10 dans les dix premières années, pas de chance vous faites partie des 9/10 ! Les larmes aux yeux vous sortez vos dossiers de compte à peine remplis à des fonctionnaires zélés qui les décortiquent pour tenter de vous extorquer des sommes astronomiques qu'ils revoient à la baisse sans justification, si vous avez la chance d'être tenaces et avoir de bons appuis. Mais il faudra toujours leur lâcher quelques sommes pour ne pas perdre la face. Ainsi va le racket organisé. Malheureusement vous n'avez personne pour vous aider. C'est la goutte qui fait déborder le vase ; vous décidez " de mettre la clef sous la porte. "
Mais heureusement vous avez appris (par votre copain anglais) que la GB est vraiment un eldorado pour créer son entreprise. Vous avez pris goût au voyage, vous avez décidé de partir. Comme d'autres compatriotes vous voulez suivre la voie de l'exode massif...Mais tout chef d'entreprise qui s'exile à l'étranger est considéré comme " un mauvais français ", " un traître " par les fonctionnaires de Bercy. Une loi scandaleuse va vous punir si vous souhaitez toujours installer votre entreprise ailleurs. Tout chef d'entreprise qui veut son quitus fiscal pour quitter la France doit laisser une caution équivalente à l'impôt qu'il paierait s'il vendait sa société. Vous vous écriez que ce texte est en contradiction avec les lois européennes de libre circulation... Le ministère fait la sourde oreille.
Peu importe, vous n'êtes pas à bout de vos ressources, vous décidez (car vous êtes très malin) de filialiser une partie de votre entreprise à l'étranger. Peine perdue, ceux qui souhaitent filialiser une partie de leur activité à l'étranger sont aussi suspects. Pour eux Bercy sort l'arme absolue, l'article 209b qui oblige les chefs d'entreprise " à justifier l'obligation économique qui les a poussés à délocaliser une partie de leur activité dans un pays fiscalement avantageux ".( ! !). Ce qui sous entend que les fonctionnaires ont bien conscience que la France a " le système fiscal le plus pourri. " Mais ça n'a pas d'importance, Si vous n'avez pas d'arguments convainquants il est évidemment que vous serez lourdement sanctionné. Ainsi une entreprise qui subit un contrôle fiscal et qui en a assez de payer des impôts et décide de se délocaliser doit payer aux impôts le préjudice qu'elle leur a causé : au secours ! Vous décidez alors de mettre fin à l'existence de votre entreprise. Le ministère des finances vous félicite, " c'était beaucoup trop risqué, vous étiez trop jeune ". Et vous décidez de rentrer dans la fonction publique...
A méditer !!!
Jean Baptiste Say